28 Juillet 2016
Dix jours après le coup d’Etat avorté, la purge contre les médias turcs prend des proportions toujours plus alarmantes. Depuis le 25 juillet 2016, ce sont 89 journalistes qui ont fait l'objet d'un mandat d'arrêt, dont une vingtaine sont déjà en garde à vue. RSF condamne une “chasse aux sorcières”.
A l’aube de ce 27 juillet, la police antiterroriste a lancé des recherches contre 47 anciens collaborateurs du quotidien Zaman (liste complète ici), sur la base de mandats d’arrêt émis par un procureur d’Istanbul. Ces noms s’ajoutent à ceux de 42 journalistes déjà recherchés dans le cadre de l’enquête sur la confrérie Gülen, présentée par les autorités comme responsable de la tentative de coup d’Etat du 15 juillet. Parmi la vingtaine de journalistes déjà placés en garde à vue figurent le chroniqueur Şahin Alpay, l’ancienne éditorialiste de Zaman Nuriye Akman, la célèbre présentatrice Nazlı Ilıcak et l’ancien collaborateur de Hürriyet, Bülent Mumay.
“Il est difficile de croire que ces rafles toujours plus larges ne servent que l’objectif légitime de démasquer les putschistes et leurs complices, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale. Il est triste d’avoir à le répéter : critiquer le gouvernement ou travailler pour des médias favorables à la confrérie Gülen ne sont en aucun cas des preuves d’une implication dans le coup d’Etat raté. Si les autorités ne peuvent apporter d’éléments plus crédibles, elles ne font que poursuivre des délits d’opinion, ce qui est intolérable.”
Favorable à la confrérie Gülen et très critique des autorités depuis quelques années, le quotidien Zaman avait été placé sous tutelle judiciaire en mars 2016. La police avait pris d’assaut les locaux du journal, dont la rédaction avait aussitôt été congédiée. La ligne éditoriale du titre avait changé à 180 degrés, si bien qu’il avait perdu la majeure partie de son lectorat et avait fini par être liquidé.
De nombreux précédents montrent que la justice turque procède souvent par association, accusant des journalistes d’appartenir à des organisations armées du fait d’accointances idéologiques supposées. En décembre 2011, 36 professionnels des médias ont été arrêtés dans le cadre de l’enquête sur l’Union des communautés du Kurdistan (KCK, interdit). Entre 2008 et 2013, de nombreux autres journalistes ont été placés en détention, soupçonnés d’appartenir au réseau ultranationaliste présumé “Ergenekon”. Dans un cas comme dans l’autre, les enquêtes n’ont pas été concluantes et les journalistes ont fini par être relâchés après de longues périodes de détention provisoire, jusqu’à plus de quatre ans.
La Turquie occupe la 151e place sur 180 dans le Classement mondial 2016 de la liberté de la presse, publié par Reporters sans frontières (RSF).