Y a-t-il une éthique pour l’industrie pharmaceutique ?
22 Août 2016
Rédigé par JD et publié depuis
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Y a t'il une industrie pharmaceutique?
L’étude portant sur la nocivité de la Dépakine chez les femmes enceintes, révélée par Le Canard enchaîné la semaine dernière, a fait l’objet de commentaires dans la presse pendant quelques jours puis, bien vite, on s’est replongé dans la tiédeur estivale en pensant davantage aux Jeux olympiques et aux bains de mer (avec ou sans burkini). Pourtant, cette étude révèle des problèmes graves. Le premier concerne la nocivité des médicaments et la difficulté qu’il y a à obtenir un rapport bénéfice-risque suffisamment argumenté pour pouvoir en tirer des conséquences sur le plan de la posologie et des contre-indications. Le second est la difficulté rencontrée, une fois le risque connu ou supposé, pour modifier la réglementation en vigueur. Dans le premier cas, on se heurte aux exigences de la rigueur scientifique qui réclame des preuves et non des impressions ressenties avant de prendre position ; dans le deuxième cas, on se heurte au poids des impératifs financiers et commerciaux, face aux nécessités de santé publique qui procèdent souvent d’une autre logique.
La Dépakine, ou valproate de sodium, est un médicament utilisé dans le traitement de l’épilepsie et des troubles bipolaires, commercialisé par les laboratoires Sanofi en 1967. Rapidement devenu un traitement de référence dans la prise en charge de l’épilepsie, il aurait permis de rapporter 405 millions d’euros à ce laboratoire en 2013. Cependant, dès les années 80, des articles scientifiques ont commencé à montrer la nocivité du produit sur le fœtus, mais ce n’est qu’en 2006 que la notice à destination des médecins fut modifiée, déconseillant son usage chez les femmes enceintes, et il fallut attendre 2010 pour que soient clairement exprimés, cette fois-ci, des risques de malformation du fœtus ainsi que des troubles du développement et des troubles autistiques chez l’enfant. Pourtant, d’après l’association APESAC, qui regroupe les parents des victimes, « le laboratoire avait les moyens de savoir que la grossesse était une contre-indication absolue pour ce médicament dès la fin des années 80 et avait le devoir d’en informer les patients », ce que réfute, bien sûr, le laboratoire.
Les médecins étaient-ils réellement informés de ces dangers ? Difficile à affirmer avant 2006. Mais ensuite, l’étude révèle que ce serait encore 10.000 femmes enceintes qui auraient pris de la Dépakine entre 2007 et 2014, alors pourquoi ? Le valproate de sodium est un produit très efficace et difficilement substituable chez les patients qui en prennent, ce qui explique sans doute le nombre aussi élevé de victimes, d’autant que les contre-indications n’ont peut-être pas fait l’objet d’une publicité suffisante auprès des médecins, ce qui aurait dû être le rôle des agences officielles de surveillance et de réglementation des médicaments. On peut se demander comme le font des membres de l’association APESAC pourquoi il a fallu attendre 2014 pour lancer une véritable alerte auprès des médecins, puis 2015 pour demander aux femmes en âge de procréer et susceptibles de prendre ce traitement de signer un consentement les avertissant des risques.
Ce n’est pas le premier scandale, ni sans doute le dernier, qui touche l’industrie pharmaceutique, qui, en l’absence d’un réel pouvoir de contrôle détenu par les autorités, peut imposer ses règles. Cependant, s’il est légitime que des industriels raisonnent en termes de marché à conquérir ou à conserver, il est encore plus légitime que le législateur, issu du pouvoir accordé par le peuple à ses représentants, puisse imposer le respect d’une éthique.