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France. L'invention du livre de poche, entre démocratisation de la lecture et réactions épidermiques.

Un livre plus petit, moins cher, et donc plus accessible : c'est le pari qu'Henri Filippachi fait en 1953 en lançant la collection du Livre de Poche. Ce format, si familier aujourd'hui, a pourtant suscité de vives réactions à l'époque. Exploration en archives, à l'occasion du Salon Livre Paris.

Si le format du livre de poche est aujourd'hui l'un des plus vendus qu'il soit, son arrivée dans le paysage de l'édition en 1953 n'a pourtant pas été un long fleuve tranquille, suscitant un débat extrêmement vif sur la démocratisation culturelle et l'accès au livre. A l'occasion de l'ouverture du Salon Livre Paris, exploration en archives de cette histoire d'un objet aujourd'hui bien familier du paysage culturel français.
Lorsqu'il lance la collection du Livre de Poche en 1953, Henri Filipacchi saisit une idée dans l'air du temps et qui a déjà fait son chemin à l'étranger, en Angleterre (avec la collection Penguin Books depuis 1935) et aux Etats-Unis notamment. Pour avoir travaillé sur de prestigieuses collections, telles que "La Pléiade", il a une grande connaissance du secteur de l'édition et de sa distribution. Il veut à présent impulser une nouvelle dynamique : rééditer dans un format plus petit et à moindre coût un classique pour le rendre plus accessible. Un idéal de démocratisation culturelle qu'il connaît bien, lui qui a sillonné les routes de France dans les années 1930 avec un "bibliobus", un bus transformé en bibliothèque.

Réduction des coûts de production et économies d'échelles sont à l'ordre du jour. Prix, format, papier, reliure : tout est renouvelé. Les premiers numéros paraissent, parmi lequels Koenigsmark (Pierre Benoit), Vol de Nuit (Saint-Exupéry), La Bête humaine (Zola) ou encore Les Mains sales (Sartre). Prenant exemple sur la distribution de la presse quotidienne, les tourniquets font leur apparition et les gens peuvent à présent se servir beaucoup plus facilement. Le rapport à l'objet libre change, comme le souligne le critique Yves Simon après avoir rappelé la légende qui entoure la naissance du Livre de Poche :
Le rapport au libraire change également, comme l'explique Henri Desmars, ancien libraire, qui se souvient au micro de Stéphane Bonnefoi :
Mettre le livre dans des tourniquets, c'était en contradiction totale avec les libraires de l'époque qui étaient habitués à servir le client. Mais il faut dire aussi que les clients avaient une attitude très différente vis-à-vis du libraire. C'est difficile à définir, c'est presque une certaine amitié qui se faisait : on avait son libraire, comme on avait son notaire à qui on confiait sa fortune et ses soucis. Ou son médecin. Mais en 1950, c'était ce qu'on appelle la clientèle bourgeoise.
Danger pour le secteur du livre et de la librairie, dévalorisation voire avilissement de la culture, les réactions hostiles naissent. Certains écrivains, tels Henri Michaux et Julien Gracq, partisans d'une culture qui se mérite, refusèrent longtemps l'édition au format de poche. Dans l'opinion publique également, nombreux sont ceux qui redoutent une fin de "l'aristocratie des lecteurs", à l'instar de cet étudiant en 1964 qui déclarait :
Le mépris de certain :
Ça a fait lire un tas de gens qui n'avaient pas besoin de lire finalement, qui n'avaient jamais ressenti le besoin de lire. Avant ils lisaient Nous deux ou La Vie en fleurs. Et d'un seul coup, ils se sont retrouvés avec Sartre dans les mains.
Merci Carolle Letourmy pour se texte. 
Un livre est un ami qui vous fait du bien, surtout en temps de guerre. En 1943, 120.000 millions de livres de poche ont ainsi été fabriqués spécialement pour les troupes américaines qui combattaient en Europe, au nord de l’Afrique et dans le Pacifique, selon l’ouvrage When Books Went to War: The Stories That Helped Us Win World War II, de Molly Guptill Manning, que relaye The Wall Street Journal.
L’idée est née du Conseil des livres en temps de guerre, formé en 1942 par un groupe d’éditeurs américains, et dont le but était de réfléchir à la manière dont la littérature pouvait servir la nation en période de conflit. Ces éditeurs se sont associés au ministère de la Guerre pour fabriquer des livres de poche, qui ont été publiés sous l’étiquette «Armed Services Editions». Le projet a été financé par le gouvernement, tandis que l’Armée et la Marine se chargeaient de l’expédition des ouvrages.

Les livres ont été conçus pour s’adapter au quotidien des combattants. Ainsi, ils devaient être légers, ne mesuraient pas plus de deux centimètres d’épaisseur pour que les soldats puissent les transporter dans leurs poches, et «n’étaient pas destinés à tenir plus de 6 lectures». Le New York Times raconte:
«Le résultat était un livre plus large que haut, avec deux colonnes de texte pour faciliter la lecture sous faible lumière. La véritable innovation, cependant, était moins technologique qu’idéologique. Les éditeurs ont proposé de prendre des livres disponibles seulement sous format relié, et de les produire dans ce format jetable.»
Les préférences des soldats allaient aux romans nostalgiques comme Le Lys de Brooklyn, raconte Molly Guptill Manning, mais aussi à ceux qui décrivaient des scènes sexuelles dans un style très direct.
Ces ouvrages avaient bien sûr un but de divertissement. Mais ils ont aussi participé à soutenir le moral des troupes et à préserver leur santé mentale, en leur offrant un moyen d’échapper à la panique, par exemple lorsqu’ils se trouvaient piégés et sans certitude de ressortir vivants de la situation.
Selon WW Norton, le président du Conseil des livres en temps de guerre que cite le New York Times, la diffusion de ces ouvrages avait aussi un but éducatif: celui de permettre aux soldats et aux marins de garder contact avec «les pensées et la vie quotidienne dans leur pays».
Ce projet a eu des conséquences importantes pour l’industrie du livre. Selon Michael Hackenberg, interrogé par le Wall Street Journal, «il a tout simplement posé les bases du marché de masse». Il a prouvé que la production de livres à des coûts peu élevés permettait de toucher un nouveau public, en l’occurrence celui d’une génération de soldats, et de le fidéliser.
Après la Première Guerre mondiale, les ventes de livres avaient diminué car les soldats s’étaient trouvé d’autres occupations. Pour maintenir les habitudes de consommation des combattants de la Seconde Guerre mondiale, les éditeurs ont continué à produire des livres à bas prix. Le New York Times rapporte:
«De nombreux lecteurs se sont d’abord attachés aux livres de poche et les ont plus tard acheté en format relié, alimentant les ventes et fournissant à l’industrie traditionnelle de l’édition un marché étendu pour ses marchandises.»
Certains ouvrages ont également connu une seconde vie grâce à leur succès auprès des soldats. C’est le cas de Gastby le magnifique, qui s’était mal vendu jusqu’à ce que les éditeurs le sélectionnent pour les publications destinés aux combattants. Ceux-ci évoquaient le livre dans les lettres adressées à leurs familles, et l’ouvrage s’est peu à peu introduit dans les foyers.
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