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Soyez curieux..

Vu du Royaume-Uni. Grand débat : le pari très risqué d’Emmanuel Macron.

Courrier international. Financial Times - Londres 15-02 2019.

En lançant un débat à l’échelle du pays, le chef de l’État compte sortir de l’impasse en renouant le dialogue avec les Français. Mais cette consultation pourrait rapidement alimenter le ressentiment à l’égard du pouvoir, prévient cet éditorialiste britannique.

De nos jours, des cahiers de doléances* des temps modernes s’ouvrent de nouveau dans les mairies, un peu partout en France, afin de donner la parole à une population ulcérée par les injustices et le caractère inaccessible du gouvernement. Le président Emmanuel Macron, que ses détracteurs dépeignent comme un monarque républicain, a lancé son propre débat sur l’état de la nation à l’échelle de tout le pays. Mais peut-il réussir là où Louis XVI a échoué ?

L’objectif : isoler les extrémistes.

Dans une démocratie fonctionnelle à l’ère de l’hyperconnectivité et des réseaux sociaux, il peut paraître étrange d’avoir recours à un cahier déposé chez monsieur le maire. Mais Macron a été contraint d’user de cet artifice – sans parler de 10 milliards d’euros de concessions fiscales – en raison des manifestations antigouvernementales des “gilets jaunes” qui, depuis la fin de l’an dernier, menacent de s’enfoncer dans la spirale de la violence et de compromettre son programme de réformes.

Le stratagème pourrait s’avérer payant pour un dirigeant qui se retrouve le dos au mur. Le débat pourrait contribuer à couper l’herbe sous le pied des “gilets jaunes”, non en les endormant à coups de discours chaleureux, mais en isolant un noyau extrémiste aux intentions violentes d’un groupe plus important et de ses sympathisants dans les rangs de l’opinion publique, lesquels affirment que leurs appels au changement ont été ignorés par une élite coupée des réalités.

La consultation, qui doit durer jusqu’au 15 mars, pourrait offrir à Macron l’occasion de renouer avec sa méthode d’origine, qui consistait à associer, dans sa volonté de réformer le pays, aussi bien les entreprises que la société civile et les communautés locales, ainsi, bien sûr que son propre parti – une approche que le président a abandonnée peu après son élection, lui préférant le micromanagement depuis l’Élysée.

Utilisé habilement, le processus pourrait servir à canaliser la colère de l’opinion publique. S’il en ressort que la principale préoccupation des Français est le fardeau fiscal, il conférera davantage de poids au projet de dégraissage de l’administration, par exemple. Cela pourrait donner le ton du programme de réformes pour la deuxième moitié du mandat présidentiel de Macron.

Un débat trop large.

Mais il pourrait aussi bien n’être qu’une perte de temps qui alimentera le cynisme public. L’éventail des sujets évoqués – les impôts, les dépenses, le service public, la structure de l’État, l’action contre le changement climatique, la démocratie, la citoyenneté, l’immigration et l’intégration – est d’une démesure absurde. Dans sa lettre adressée à la nation dans la soirée du 13 janvier, le président a souligné qu’il n’y aurait “pas de questions interdites”. Mais quelques lignes plus bas, il soutient qu’il ne reviendra pas sur les décisions fiscales prises au cours des vingt derniers mois.

Ce qui inclut l’abandon de l’impôt sur la fortune, raison majeure du mécontentement de nombreux “gilets jaunes”. Macron est persuadé que l’ISF dissuadait les investissements et l’esprit d’entreprise en France. “Je n’ai pas oublié que j’ai été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles je demeure fidèle”, écrit-il. Le problème, c’est que si beaucoup de ses adversaires sont eux aussi de fervents défenseurs de ces mêmes orientations, comme la primauté du secteur privé dans la création d’emploi, ils sont nettement moins nombreux, en revanche, à soutenir les politiques qui en découlent.

Comment toutes les idées, toutes les revendications pourront-elles être distillées, transformées en politique, en dépit des autres objectifs du gouvernement, et conciliées avec les obligations internationales de la France, à commencer par la limite de 3 % imposée par l’UE au déficit public ? On voit mal ces choix et ces compromis, qui sont l’essence même de la mission d’un gouvernement, se faire ailleurs que dans les bureaux dorés de l’Élysée. Macron termine sa lettre en assurant qu’il a “la ferme volonté de tirer toutes les conclusions” du débat. Est-il possible de se montrer plus évasif ?

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